La séparation et l'ambiguïté des sentiments
En 1833, George Sand, écrivaine de vingt-neuf ans, a une réputation assez sulfureuse. Elle aime la compagnie de jeunes hommes mais Alfred de Musset, de sept ans son cadet, ne lui plaît guère : elle le trouve « trop dandy ». En juin de la même année, Alfred de Musset, assis à côté de George Sand lors d'un dîner organisé par le directeur d'une revue littéraire, s'entend pourtant fort bien avec l'écrivaine : ils entament immédiatement une correspondance, révélant leur réelle complicité littéraire, avant de vivre une histoire passionnée et tumultueuse. En 1835, George Sand, après avoir été menacée de mort devant ses enfants par Alfred de Musset muni d'un couteau, décide de s'éloigner définitivement de son ancien amant.
Lettre de George Sand à Alfred de Musset, janvier 1835
J'ai désiré cette séparation tous les jours, au moins une heure par jour, depuis que tu es venu me chercher à mon retour de Nohant1 pour m'emmener dîner avec toi, au milieu de mes résolutions et de mes frayeurs. [...]
[...J Tu crois que tu peux m'aimer encore, parce que tu peux espérer encore tous les matins après avoir nié tous les soirs. Tu as vingt-trois ans, et voilà que j'en ai trente et un, et tant de malheurs, tant de sanglots, de déchirements derrière moi ! Où vas-tu ? qu'espères-tu de la solitude et de l'exaltation d'une douleur déjà si poignante ? Hélas ! me voici lâche et flasque comme une corde brisée, me voici par terre, me roulant avec mon amour désolé comme avec un cadavre, et je souffre tant que je ne peux pas me relever pour l'enterrer ou pour le rappeler à la vie. Et toi, tu veux exciter et fouetter ta douleur. N'en as-tu pas assez comme cela ? moi je ne crois pas qu'il y ait quelque chose de pis2 que ce que j'éprouve.
Mais tu espères ? tu t'en relèveras peut-être. Oui, je m'en souviens, tu as dit que tu la prendrais corps à corps et que tu sortirais victorieux de la lutte, si tu ne périssais pas tout d'un coup.
Eh bien, oui, tu es jeune, tu es poète, tu es dans ta beauté et dans ta force. Essaye donc ; moi je vais mourir, adieu, adieu. Je ne veux pas te quitter, je ne veux pas te reprendre, je ne veux rien, rien. J'ai les genoux par terre, et les reins brisés, qu'on ne me parle de rien. Je veux embrasser la terre et pleurer. Je ne t'aime plus, mais je t'adore toujours. Je ne veux plus de toi, mais je ne peux pas m'en passer. Il n'y aurait qu'un coup de foudre d'en haut qui pourrait me guérir en m'anéantissant. Adieu, reste, pars, seulement ne dis pas que je ne souffre pas : il n'y a que cela qui puisse me faire souffrir davantage. Mon seul amour, ma vie, mes entrailles, mon frère, mon sang, allez-vous-en, mais tuez-moi en partant.
George Sand, « Lettre à Alfred de Musset », janvier 1835
1. Nohant : commune française située dans l'Indre.
2. De pis : de pire.
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